Tout juste un an, après un festival des Musiques Américaines, conçu à l’initiative de Michel Rémond, dont les échos favorables avaient excité nos sens auquel malheureusement nous n’avions pu assister, le programmateur des concerts Blues de la Scène Jean Roger Caussimon de Tremblay en France a préparé pour bien débuter cette nouvelle année, une soirée tout entière consacrée à l’harmonica.

Quatre harmonicistes de notre beau pays, le Nantais Kévin Doublé, le régional de l’étape de Montreuil en Seine-Saint-Denis, Steve Verbeke, Youssef Remadna (résidant aujourd’hui dans les Hautes Alpes) et Vincent Bucher, tous deux Parisiens, vont se relayer sur scène pendant plus de trois heures, entourés d’une French Dream Team que toute l’Amérique nous envie…

D’excellents musiciens croisés depuis plusieurs années dans la plupart des festivals hexagonaux, le guitariste Stan Noubard-Pacha et le bassiste chanteur harmoniciste Thibaut Chopin, originaires d’Ile de France, le batteur Poitevin Simon Boyer et le pianiste Aquitain Julien Brunetaud, tous installés depuis quelques temps en région parisienne.

Au-delà des qualités évidentes de chaque protagoniste, ce qui marque le plus, c’est l’homogénéité de l’ensemble et cette faculté à se sentir autant à l’aise dans tous les styles explorés. La grande classe, messieurs !

Stan s’est fait remarqué dérriére Benoit Blue Boy et s’active dans de nombreuses formations françaises (Mama’s Biscuits notamment), élu plusieurs fois meilleur guitariste français au Trophée Euro Blues, il offre à chacune de ses sorties, la mesure de son immense talent.
Sachant se faire discret pour mieux laisser s’exprimer les leaders souffleurs, il sait aussi se lâcher à d’autres instants pour se positionner un peu plus en avant. Son jeu solide, fin et précis s’exprime alors sans retenue.

Thibaut est le bassiste attitré de Benoit Blue Boy (cinq fois primé au Trophée France Blues), il intervient avec énormément de musiciens du milieu Blues, français comme étranger, et vient de former sa propre formation, The Blues Rockers. Sa polyvalence est une richesse incroyable, l’harmo n’a plus de secret pour lui et son chant, juste et posé, s’affirme pleinement. Sa prestation du soir l’a prouvé sans équivoque mais c’est surtout, cette rythmique implacable peaufinée avec sa basse électrique ½ caisse aux sonorités de contrebasse qui nous a baigné dans un bain de jouvence alimenté par le jeu de baguettes de Simon.

Jongleur et funambule, Simon est un phénomène de scène et il s’épanouit autant dérriére les Jazzmen que les Bluesmen. A 36 ans, il a sillonné la France, de Limoges à Nice et de Poitiers à Paris et a formé sa propre formation, le Simon Shuffle Blues Band, une chose rare pour un batteur. Décontracté et joyeux, il maîtrise avec une élégance perceptible ses fûts comme ses cymbales et allie avec brio, puissance et légèreté. Un must !

Que de chemin parcouru par Julien depuis qu’il a enregistré à Bordeaux au Comptoir du Jazz, son 1er opus en 2002 avec son groupe JB Boogie. C’est à 18 ans qu’il débute réellement sur les planches avec Nico Wayne Toussaint et aujourd’hui, à presque 25 ans, Julien a trouvé sa place dans la capitale et s’exprime un peu partout en Europe (meilleur pianiste du continent en 2005), aux Etats-Unis (Memphis, Chicago…) et même en Inde.
Son jeu irréprochable, alliant de formidables déliés des deux mains et des envolées vocales séduisantes, stimule le groove et titille les sensibilités… Julien fait déjà parti des grands !

Un plateau exceptionnel, coloré et bigarré, développé en cinq tableaux, aussi intensifs qu’émotionnels.


1er tableau : Kévin Doublé

L’artiste commence l’harmo dès l’age de 15 ans. Ses influences sont Little Walter, Sonny Terry et Willie Dixon, chanteur harmoniciste 13 ans plus tard, Kévin Doublé est aussi à l’aise dans le Chicago Blues que sur le rythme qu’il affectionne particulièrement c'est-à-dire: le jazz.
Un jeu clair et précis d’une technique irréprochable, un son au grain très fifties, l’artiste démontre que le Blues français se porte encore bien haut en tête d’affiches. Appuyé magistralement par le piano de Julien Brunetaud, Kévin enchaîne sur un « Since my baby been gone » dantesque !
Le public retient son souffle avant de se libérer par un tonnerre d’applaudissements pour l’interprétation de ce morceau que vous retrouverez sur son 1er album « Blues In The Morning ». Et si vous entendez parler de Scratch my Back, alors n’hésitez pas une seconde vous y retrouverez dans ce groupe ce jeune chanteur harmoniciste de talent.


2ème tableau : Steve Verbeke

Le Blues se chante traditionnellement en anglais. Mais il y a des gens qui pensent que la musique doit pouvoir s’exprimer dans sa langue maternelle, combien même on suppose que son origine est d’outre atlantique. C’est ce que fait Steve Verbeke et bien lui en a prit, car l’auditoire lui a été totalement attentif. Artiste de talent, simple et authentique, il n’en demeure pas moins un excellent représentant français du ruine babines. Dans son opus Montreuil Boogaloo, Steve nous rappelle qu’il sait aussi parfaitement faire swinguer les notes (bleues bien sur) du Shuffle au Boogie en passant par le Chicago Blues Il y a dans ce chanteur et musicien, un harmoniciste de cœur et de générosité qui nous offrira d’ailleurs un délicieux moment en invitant sur scène pour clore ce set, Vincent Bucher pour l’interprétation de « 63 porte de Montreuil » dans un question /réponse de belle facture.


3ème tableau : Youssef Remadna

Cela faisait quelques temps déjà que ce nom résonnait dans nos Oreilles au point d’en devenir…bleues. Cet artiste n’est pas un « gamin » et quelques belles scènes françaises commencent sérieusement à lui faire un appel pressant du pied, le Zapping de Grande Synthe (59), le One Way à Saint Ouen (93) et aujourd’hui Tremblay pour ne citer que celles-ci. Il ne serait d’ailleurs pas étonnant de le retrouver à l’affiche de nombreuses manifestations et pourquoi pas, chez nous à la Traverse de Cléon (76) au cours d’un des prochains festivals de Blues. Ce gai luron de Briançonnais, le « Michel Leeb » de l’harmonica est un artiste de très haute volée. Ancien élève de Vincent Bucher, il croisera souvent sa route avec Benoît Blue Boy et JJ Milteau – excusez du peu ! Une voix de crooner, un groove remarquable sans jeu superflu, l’artiste a de la classe et….beaucoup d’humour. Tous les styles sont représentés, Chicago Blues, West Coast, Swamp Blues, Funky Blues etc. sans doute est-ce là l’expression de tout le travail de l’artiste au cours de ces très nombreux voyages outre atlantique.
Un conseil, si les Back Door ou Boogie Desease passent dans votre secteur, ne les loupez pas sous aucun prétexte. Cet artiste…c’est du Bonheur !
À quand la prochaine galette ?


4ème tableau : Vincent Bucher

Parmi les nombreux acteurs de cette soirée, tous aussi excellents soient-ils, Vincent Bucher fait partie de l’élite. Cet artiste totalement nourri au Blues, ne cesse de s’ouvrir aux musiques voisines, aux cultures voisines. L’évolution de son instrument vers d’autres horizons reste la quête première, « repousser les limites comme il le dit lui-même ». Virtuose des virtuoses, l’artiste nous délecte de son jeu rapide, précis et juste. Ses descentes (comme ses montées) chromatiques avec son diatonique sont autant d’effets, qui pincé dans les lèvres de Vincent Bucher, font que le ruine babine n’aura jamais autant mérité son surnom de « piano à bouche ». Tout simplement Magistral ! (Et ce n’est pas la complicité de Julien Brunetaud qui nous démentira). Le Chicago Blues s’émerveille de tant de talent. Fidèle à sa passion et sa vision de l’évolution de sa musique, Vincent Bucher fera même une incartade en musique Cajun.
Que du Bonheur !


5ème tableau : le French Harp Summit dans tous états…

Alors que le public est encore ébahi par autant de talents réunis en une seule soirée, Vincent Bucher (toujours lui) prend l’initiative de démontrer à la salle que ce si petit instrument qu’est l’harmonica, peut donner un festival de résonance de très haute qualité. Il rappelle à lui les protagonistes de la soirée : Kévin Doublé – Steve Verbeke – Youssef Remadna – Thibaut Chopin – et fait monter sur la scène les Parisiens Charles Pasi et Sylvain Mazzola, le Bayonnais Nico Wayne Toussaint, présents dans la salle. Un grand moment d’émotion et de technique sur un douze mesures totalement livré à l’improvisation.

Une affiche unique pour une prestation de Géants qui donne le tempo de cette seconde partie de saison, une vitesse de croisière acquise depuis plusieurs années, qui nous promet encore de beaux moments à vivre du côté de Tremblay… Un grand merci à toute l’équipe, technique comme administrative, de la Scène Jean Roger Caussimon. Il est certain qu’avec des concerts de cette trempe, nous allons continuer à braver le bitume pour rejoindre l’Est Parisien.